La photographie serait l’invention d’un art mental qui prend — sans distance ni contact — ce qu’elle est venue chercher et repart en ayant saisi en puissance ce qu’elle ne peut obtenir en acte… Au dÉbut de sa dÉmarche artistique, Rappanello photographie les miroirs : l’objet narcissique sert de cadre au reflet de ses modÈles. GrÂce À l’angle de la prise de vue — jeu de distorsion — il prend ses sujets sans apparaître : voyeur discret de l’autre, de sa rÉalitÉ intime ; ses amis, ses parents et tous ceux qui lui sont apparentÉs passent au crible de l’objectif. Les clichÉs bruts de Rappanello sont des Évidences, sans fard, d’une existence fidÈle À son point de vue sur soi-mÊme — l’autre Étant un indice de cette figure que l’on ne voit pas. Car la fixation du reflet dans le miroir implique qu’il soit À cÔtÉ du sujet sans l’Être dans l’image : la prÉsence du photographe À cÔtÉ de soi, que l’on ressent, perCoit mais que l’on ne voit pas sur le clichÉ photographique, est À la fois l’Épreuve d’une conscience perverse (renversement) en action et une affaire d’esprit et de hantise dont le miroir et la photographie sont des outils de capture. La photographie À l’Épreuve du proche La photographie comme beaux-arts La peinture est interpellÉe de faCon plus gÉnÉrale comme expÉrience du cadre et du point de vue : reflet d’une rÉalitÉ prise suivant l’axe de celui qui va la restituer. Le peintre et le photographe regardent devant eux et dÉcident du champ, du sujet et, contraints par les donnÉes, de leur reprÉsentation. Le photographiÉ pose devant le miroir comme l’on pose devant le peintre pour obtenir une image de soi. Mais ici, la photographie du miroir sert À restituer au sens classique un cadre À la reprÉsentation du sujet. Dans la sÉrie Tatouages, la peinture s’expose comme sujet : Rappanello se photographie de profile, torse nu, avec sur le bras la projection d’une diapositive d’un tableau pompier franCais reprÉsentant des allÉgories incarnÉes par des crÉatures nues. Dans ces autoportraits, la peinture tatoue la peau du poseur et donne À cette image terne sa couleur — celle des peaux de ces femmes mÊlÉes À la carnation de son bras. Depuis quelques annÉes, Rappanello photographie l’espace urbain sous l’angle de la sculpture. Le miroir disparaît et, pourtant, ce que nous voyons est bien l’image mentale que s’en fait Rappanello. L’image que nous regardons est un tissu urbain organisÉ grâce au hasard et qui pourtant s’organise autour de certaines lois arbitraires de composition. Ces photographies gÉomÉtriques ou dÉstructurÉes sont minimalistes et entÊtantes : leur dynamique est vraisemblablement celle de la sculpture ; l’Équilibre de la densitÉ matÉrielle du sujet. La sculpture devient ensuite un thÈme de travail donnÉ par Rappanello À des personnes choisies pour n’Être pas artiste. Il leur prÊte son appareil photo pour rÉaliser une trentaine de photographies de « sculpture ». Les personnes qui connaissent son travail s’y prÊtent en connaissance de cause et proposent des photographies que Rappanello aurait pu tout aussi bien rÉaliser. Ces photographies sont le reflet de son propre style et les sculptures prises par diffÉrents points de vue permettent À Rappanello de cultiver les angles nouveaux et d’Élargir sa vision des choses. Rappanello poursuit ce regard sur la ville en photographiant des reflets de vitre où deux rÉalitÉs — intÉrieur/extÉrieur — ne font plus qu’une. Si cette approche est frÉquente dans la photographie contemporaine, elle a ici toute sa raison d’Être dans la mesure où elle est en lien avec des travaux plus anciens comme les sÉries IntÉrieur et IntÉrieur/extÉrieur (paysages photographiÉs de fenÊtres fermÉes ou ouvertes). Sa recherche persistante d’un rapport au miroir se poursuit autour du cadre de la vitre qui permet de mixer les reflets du dÉcor et du paysage mobile. Ces photographies, avec leur profondeur de champ, nous permettent d’entrevoir ce que pourrait Être les mondes parallÈles de la quatriÈme dimension. Si la photographie, comme nous l’annoncions, est un art de la frustration, il n’est pas Étonnant de trouver une certaine satisfaction À regarder les photographies dÉmystifiantes de JÉrome Rappanello. La vÉritÉ crue de ses photographies miroir ne fige pas l’image ; au contraire, elle prÉsente l’État d’une chose sans arrangement ni pose, simplement abandonnÉe À son sort. Et si l’effet d’une image tient À ce qu’elle s’abandonne, pour que l’on puisse mieux y pÉnÉtrer, Rappanello et ses miroirs rÉussissent lÀ un coup de magie. |
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