ALEXANDRE BOHN - DEPUIS PLUS DE 20 ANS, LA PHOTOGRAPHIE EST TON MEDIUM PRIVILÉGIÉ MÊME SI TU AS, RAREMENT, PROPOSÉ VIDÉOS ET DES DESSINS. QUE TROUVES-TU DANS LA PHOTOGRAPHIE QUE TU NE TROUVES PAS DANS LES AUTRES MEDIUMS ?
JÉRÔME RAPPANELLO - CE QUI M’INTÉRESSAIT AU DÉBUT, C’ÉTAIT LE STATUT DE TRACE DE LA PHOTOGRAPHIE. MON MÉMOIRE DE MAÎTRISE D’ESTHÉTIQUE PORTAIT SUR LE LAND ART. JE ME SUIS DÉPLACÉ POUR VOIR OBSERVATORIUM DE ROBERT MORRIS ET BROKEN CIRCLE DE ROBERT SMITHSON EN HOLLANDE MAIS, LE LAND ART EST PRINCIPALEMENT DIFFUSÉ PAR LA PHOTOGRAPHIE QUI VAUT COMME, À LA FOIS, TRACE D’UNE ŒUVRE QUI EXISTE OU A EXISTÉ AILLEURS ET ŒUVRE EN SOI. JE N’AIME PAS TELLEMENT CET ARTISTE MAIS JE LE PREND EN EXEMPLE : LORSQU’ANDY GOLDSWORTHY FAIT UNE COMPOSITION FLORALE QU’IL PHOTOGRAPHIE. C’EST LA COMPOSITION FLORALE QUI ÉTAIT L’ŒUVRE ET LA PHOTOGRAPHIE EN EST LA TRACE. PAR LE MEDIUM PHOTOGRAPHIQUE ET SA QUALITÉ DE TRACE, ON PEUT ABORDER TOUS LES GENRES ARTISTIQUES ET TOUS LES MOYENS D’EXPRESSION ARTISTIQUE : LA PERFORMANCE, LA SCULPTURE… ON PEUT AUSSI ÊTRE UN PHOTOGRAPHE « CLASSIQUE » À LA MANIÈRE DE CARTIER-BRESSON…

AB - DANS LE PREMIER CAS QUE TU ÉVOQUES, LA PHOTOGRAPHIE DOCUMENTE D’AUTRES FORMES ARTISTIQUES, DANS LE DEUXIÈME CAS, LA PHOTOGRAPHIE VAUT PAR ET POUR ELLE-MÊME.
JR - OUI, MAIS EN CE QUI ME CONCERNE, JE NE DISTINGUE PAS ENTRE CES DEUX ASPECTS.

AB - TU VEUX DIRE QUE, QUELQUE SOIT SON OBJET, TU CONSIDÈRES QUE LA PHOTOGRAPHIE PEUT ÊTRE SOIT DOCUMENTAIRE SOIT ARTISTIQUE ? ALORS QU’EST-CE QUI FORGE LE CARACTÈRE ARTISTIQUE DE LA PHOTOGRAPHIE QUAND ONT DIT QU’UNE PHOTOGRAPHIE EST UNE ŒUVRE ?
JR - AVANT TOUT L’INTENTION DE SON AUTEUR, ÉVIDEMMENT. ET J’AIME BIEN CE TERME D’AUTEUR LORSQU’IL EST PRIS AU SENS QUE LUI A DONNÉ LA NOUVELLE VAGUE : L’ŒUVRE N’EST PAS DANS LA FORME DONNÉE À L’ENREGISTREMENT FILMIQUE DÉPOUILLÉ D’UN RÉEL DÉJÀ LÀ MAIS ELLE APPARAÎT ÉVENTUELLEMENT PAR LA RÉPÉTITION FORMELLE FILM APRÈS FILM ET PAR LA RÉCURRENCE D’UNE PENSÉE EN IMAGES. AINSI, UNE PHOTO TOUTE SEULE A MOINS DE SENS QU’UNE SÉRIE DE PHOTOS DU MÊME TYPE. DONC JE FONCTIONNE TOUJOURS PAR SÉRIES.

AB - LA QUANTITÉ PRODUIT UNE QUALITÉ ?
JR - QUAND JE FAIS MES DÎNERS EN VILLE, PHOTOGRAPHIES DE LA TABLE À LA FIN DU REPAS, APRÈS AVOIR CONSOMMÉ, LORSQUE JE SUIS INVITÉ CHEZ DES AMIS (C’EST UN PROLONGEMENT DE MA SÉRIE ENTROPIE QUOTIDIENNE), ON PEUT APPRÉCIER PLASTIQUEMENT CHAQUE PHOTO, MAIS ELLE PREND TOUT SONS SENS PARCE QUE J’AI PHOTOGRAPHIÉ SYSTÉMATIQUEMENT DE NOMBREUX DÎNERS EN VILLE. CETTE RÉPÉTITION FAIT ŒUVRE.

AB - EST-CE QUE, AINSI, TA PRATIQUE DE LA PHOTOGRAPHIE PLONGE SES RACINES DANS UNE APPROCHE CONCEPTUELLE DE LA PHOTOGRAPHIE ? EST-CE DE LA PHOTOGRAPHIE CONCEPTUELLE ?
JR - OUI, OUI, LE SYSTÈME, LA SÉRIE…

AB - ET PEUT-ÊTRE AUSSI UNE POSTURE EN RETRAIT DE L’AUTEUR ARTISTE INDUITE PAR CE MEDIUM LUI-MÊME MAIS QUE TU T’APPLIQUES SOUVENT À ACCENTUER ENCORE EN ADHÉRENT À CETTE POSSIBILITÉ OFFERTE DE CONSTAT FROID QUI NE SOIT PAS EXPRESSIONNISTE, PAS INSPIRÉ, PAS ALOURDI PAR UNE SUBJECTIVITÉ ROMANTIQUE…
JR - OUI, UNE MISE À DISTANCE. ET J’APPRÉCIE AUSSI CETTE BANALITÉ DE LA PHOTOGRAPHIE QUI LAISSE SUPPOSER QUE TOUT LE MONDE PEUT FAIRE TELLE OU TELLE PHOTOGRAPHIE. MAIS TOUT LE MONDE NE LA FAIT PAS. MOI SI. CECI DIT, JE PEUX, COMME TOUT PHOTOGRAPHE, ÊTRE COPIÉ. ET CETTE NOTION DE COPIE EST D’AILLEURS MISE EN TENSION PAR LA RELATIVE FACILITÉ DU MEDIUM PHOTOGRAPHIQUE. POUR MA SÉRIE SCULPTURES PAR…, SUITE DE MA SÉRIE SCULPTURES AUGMENTÉE D’UN PRINCIPE DE DÉLÉGATION ABSOLU DE L’ACTE PHOTOGRAPHIQUE AVEC UNE SEULE CONSIGNE : « AVEC MON APPAREIL PHOTO, PHOTOGRAPHIEZ DES SCULPTURES », JE SOUPÇONNE DES PARTICIPANTS DE S’ÊTRE LAISSÉS INFLUENCER PAR MON PROPRE TRAVAIL DE LA SÉRIE SCULPTURES. CE SONT ALORS DE TRÈS CONVAINCANTES SCULPTURES PAR… À LA MANIÈRE DES SCULPTURES DE JÉRÔME RAPPANELLO ! MAIS JE NE PORTE PAS, EN PUBLIC, DE JUGEMENT SUR CES DEVOIRS QUI ME SONT RENDUS DANS LE CADRE DE CETTE SÉRIE QUI EST FONDÉ SUR LA COMMANDE ET LA DÉLÉGATION.

AB - TU SOULIGNES, EN DISANT CELA, À QUEL POINT LA DÉLÉGATION DU GESTE PHOTOGRAPHIQUE À AUTRUI TE MET À DISTANCE AU POINT QUE LES IMAGES DE CETTE SÉRIE, PARTIES INTÉGRANTES DE TON ŒUVRE, VALENT D’ABORD PAR LEUR CONFORMITÉ AVEC LE PROTOCOLE QUE TU AS IMAGINÉ ET ACTIVÉ. CECI DIT, DANS LE CONTEXTE D’UNE EXPOSITION, D’UNE PUBLICATION OU DE TON SITE INTERNET, NE POUVANT PAS TOUT DIFFUSER, TU DOIS PROCÉDER À DES CHOIX…
JR - C’EST EXACT. MAIS JE NE PROCÈDE PAS PAR GOÛT PERSONNEL. JE RELÈVE, DANS LA SÉRIE, AU FUR ET À MESURE QU’ELLE SE CONSTITUE, DES TYPOLOGIES ET JE FAIS EN SORTE QUE MES ÉVENTUELS CHOIX REFLÈTENT CETTE DIVERSITÉ DES POSSIBLES RÉPONSES QUI ONT ÉTÉ APPORTÉES À MA COMMANDE. J’ORGANISE CE QUI M’EST LIVRÉ POUR RESTITUER LE PANEL DES TENDANCES. JE NE DIFFUSE PAS LES PHOTOGRAPHIES ACCIDENTELLEMENT FLOUES.

AB - PEUT-ON DIRE QUE LA PHOTOGRAPHIE EST ONTOLOGIQUEMENT UN MEDIUM DE LA DÉLÉGATION. LE MEDIUM DU SCULPTEUR QUI NE SCULPTE PLUS, DU PEINTRE QUI NE PEINT PLUS, DE CELUI QUI, PAR CE MOYEN, SE SAISIT DU PRÉEXISTANT ?
JR - OUI. ET UNE FOIS QUE CECI EST ACQUIS, ON PEUT EN JOUER ET, PAR EXEMPLE, FABRIQUER LE PRÉEXISTANT PHOTOGRAPHIQUE. C’EST CE QUE JE FAIS AVEC MA SÉRIE LE MUSÉE IMAGINAIRE. JE PEINS OU JE DESSINE DES IDÉES D’ŒUVRES POUR PHOTOGRAPHIER LE REFLET DANS UN MIROIR DE CES RÉALISATIONS AVANT DE LES DÉTRUIRE. RESTE LES PHOTOGRAPHIES.

AB - BIEN. TU OUVRES LÀ INCIDEMMENT TOUT UN VOLET DE TON ŒUVRE : TON RECOURS RÉCURANT AUX MIROIRS QUE JE COMPRENDS COMME UN REDOUBLEMENT DE LA MISE À DISTANCE OU COMME DÉLÉGATION SUPPLÉMENTAIRE DE LA FABRICATION DE L’IMAGE. CAR L’IMAGE EXISTE UNE PREMIÈRE FOIS, CADRÉE MAIS FUGACE, DANS LE MIROIR AVANT QUE TON APPAREIL PHOTO, LUI AUSSI DOTÉ D’UN MIROIR, VIENNE LA FIGER.
JR - MON RECOURS AU MIROIR EST ANCIEN ET TOUJOURS ACTUEL. LA SÉRIE À LAQUELLE JE TRAVAILLE ACTUELLEMENT S’INTITULE KILL YOUR IDOL. J’Y FAIS EXPLICITEMENT RÉFÉRENCE À DES ARTISTES EMBLÉMATIQUES, MÉDIATISÉS, PLASTICIENS OU AUTRES, EN COMPOSANT UNE IMAGE DANS UN MIROIR. J’AI ÉTÉ ADOLESCENT DANS LES ANNÉES 80 ET TOUTES LES ADOLESCENTES DE MA GÉNÉRATION ONT EU LEUR PÉRIODE MARILYN MONROE. TOUT LE MONDE CONNAÎT MARILYN MONROE BIEN QUE RARE SONT CEUX QUI, FINALEMENT, ONT VU LES FILMS DANS LESQUELS ELLE A JOUÉ. C’EST L’EXEMPLE TYPE DE LA SUPERFICIALITÉ DE LA RENOMMÉE. C’EST UNE ICÔNE. ET IL SE TROUVE QU’ON ASSISTE, DEPUIS QUELQUES ANNÉES, À UN ANOBLISSEMENT CULTUREL DE MARILYN MONROE QUI DEVIENT UN PERSONNAGE LITTÉRAIRE. POUR CETTE PHOTO, J’AI UTILISÉ UNE IMAGE PRÉEXISTANTE BIEN CONNUE ET, EN CHANGEANT L’ANGLE DE PRISE DE VUE PAR LE REFLET DANS LE MIROIR, J’AI MODIFIÉ LA DIRECTION DE SON REGARD PAR RAPPORT À LA PHOTO ORIGINELLE.

AB - UN PETIT QUELQUE CHOSE DU REGARD AMBIGU DE MONA LISA, EFFECTIVEMENT. TES ÉVOCATIONS DE PAUL MCCARTHY, JOHN LENNON, LOU REED, PARTENT DE PHOTO PRÉEXISTANTES…
JR - PAS MCCARTHY. J’AI TROUVÉ UNE MARIONNETTE REPRÉSENTANT UN VIEIL HOMME MOUSTACHU QUI RESSEMBLE BEAUCOUP À PAUL MCCARTHY AUJOURD’HUI. JE ME LA SUIS ENFILÉE SUR LE DOIGT PRÉALABLEMENT ENDUIT DE KETCHUP ET JE PORTE UNE CHEMISE NOIRE PAR SIMPLE SOUCI ESTHÉTIQUE DE CONTRASTE AVEC LE ROUGE DU KETCHUP. LA MISE EN SCÈNE EST TRÈS CONSTRUITE ET LA PRISE DE VUE DANS UN MIROIR À CADRE ROUGE EST SOIGNÉE.

AB - ALORS CREUSONS UN PEU. ON A COMPRIS, AVEC TA MARILYN, QUE LE JEU DU MIROIR TE PERMET DE RECADRER UNE PHOTOGRAPHIE ORIGINELLE ET MÊME DE MODIFIER UN REGARD. CELA TE PERMET AUSSI DE FAIRE APPARAÎTRE UN CADRE DANS LE CADRE EN PRODUISANT UNE MISE EN ABÎME DES IMAGES. ET LA PHOTOGRAPHIE, FIGEANT L’IMAGE MOUVANTE DANS LE MIROIR, LE FAIT APPARAÎTRE, PRIS DANS UN CHAMP PLUS LARGE, COMME UN TABLEAU.
JR - DANS LE CAS DES PORTRAITS, ET A FORTIORI DES PORTRAITS NUS, LE MIROIR PERMET À LA PERSONNE DE MIEUX CONTRÔLER SON IMAGE. ELLE ME VOIT DANS LE MIROIR EN TRAIN DE PHOTOGRAPHIER MAIS ELLE SE VOIT AUSSI. LE MODÈLE POSE POUR L’APPAREIL PHOTO ET IL « RE-POSE » POUR LE MIROIR. CE TRAVAIL SUR LA POSE EST IMPORTANT CAR JE NE RECOURS JAMAIS À DES MODÈLES PROFESSIONNELS. JE NE PASSE JAMAIS D’ANNONCE ET JE N’AI JAMAIS PAYÉ UN MODÈLE.

AB - C’EST À DIRE QUE TES MODÈLES SONT DES GENS QUE TU CONNAIS ET QUE TU SOLLICITES. ILS FONT PARTIE DE TON CERCLE RELATIONNEL, AMICAL ET FAMILIAL. CE CORPUS DE PORTRAITS FINIT DONC PAR CONSTITUER UNE SORTE D’AUTOPORTRAIT PAR DÉFAUT QUI EN DIT BEAUCOUP SUR QUI TU ES EN MONTRANT CEUX QUE TU FRÉQUENTES. UN AUTOPORTRAIT SOCIAL.
JR - C’EST UN GRAND MIROIR QUI ME REGARDE… D’AILLEURS, UNE DES EXPOSITIONS QUE J’AVAIS FAITE AU DEUX PIÈCES-CUISINE, CONSTITUÉE EXCLUSIVEMENT DE PHOTOS DE MIROIRS, ÉTAIT INTITULÉE AUTOPORTRAIT.

AB - L’EXPOSITION COMME AUTOPORTRAIT… REDOUBLÉ PAR LE FAIT QUE LE DEUX PIÈCES- CUISINE ÉTAIT AUSSI TON CADRE DE VIE.
JR - LIEU DE VIE ET LIEU D’EXPOSITION. EN SIX ANS, JE M’Y SUIS EXPOSÉ SIX FOIS Y COMPRIS DANS DES EXPOSITIONS COLLECTIVES SUR TRENTE-SEPT EXPOSITIONS QUE J’Y AI ORGANISÉ. INVITER DES GENS À PRODUIRE ET MONTRER QUELQUE CHOSE DANS MON CADRE –QUE CE SOIT DES ŒUVRES DE TOUT TYPE DANS LE CADRE DE MON APPARTEMENT OU DES PHOTOGRAPHIES DÉLÉGUÉES DANS LE CADRE DE MA SÉRIE SCULPTURES PAR… OU MÊME DES POSES DE LEUR CORPS DANS LE CADRE DE MON OBJECTIF– PARTICIPE DE LA MÊME DÉMARCHE. JE NE SUIS PAS CERTAIN QUE LE TERME IN SITU STRICTEMENT ENTENDU COMME L’A DÉFINI DANIEL BUREN CONVIENNE MAIS DE NOMBREUX ARTISTES QUE J’AVAIS INVITÉS AU DEUX PIÈCES-CUISINE ONT CRÉÉ DES ŒUVRES IN SITU. SARAH ROSHEM, PAR EXEMPLE AVAIT FAIT UN TRAVAIL DE SCULPTURE À PARTIR DE MES DÉCHETS. LA PHOTOGRAPHIE POSE AUSSI LA QUESTION DE LA CONFIANCE ACCORDÉE PAR LE SPECTATEUR. QUAND JE DIS QUE JE NE PAYE PAS LES MODÈLES, QUE CE SONT DES GENS DE MON ENTOURAGE, IL FAUT LE CROIRE. QUAND JE DIS QUE C’EST MA POUBELLE QUE JE PHOTOGRAPHIE DANS LA SÉRIE ENTROPIE QUOTIDIENNE, ET PAS CELLE DE MA VOISINE, IL FAUT ME CROIRE.

AB - CERTES. LORSQUE TU PARLAIS, TOUT À L’HEURE, DE TA SÉRIE DÎNERS EN VILLE, JE PENSAIS À DANIEL SPOERRI ET SES TABLEAUX RELIEFS. LA POUBELLE –LA TIENNE OU CELLE DE TA VOISINE, QUI SAIT ?– DE TA SÉRIE ENTROPIE QUOTIDIENNE M’ÉVOQUE TOUT À COUP ARMAN ET SES PORTRAITS-POUBELLES : TE SENS-TU DES AFFINITÉS AVEC L’ESPRIT DES NOUVEAUX RÉALISTES, AVEC LEUR POÉSIE DU BANAL ?
JR - AVEC LES ACCUMULATIONS D’ARMAN PAS TROP ET AVEC SES SCULPTURES NÉO-CLASIQUES ENCORE MOINS MAIS, OUI, SES POUBELLES ET LES TABLEAUX-RELIEFS DE SPOERRI SONT DES ŒUVRES QUI M’ONT MARQUÉ.

AB - PIERRE RESTANY PROPOSAIT LE NOUVEAU RÉALISME COMME UN ÉLAN DE L’ÉVOCATION POÉTIQUE DU QUOTIDIEN.
JR - JE ME SENS BIEN AVEC ÇA. JE TRAVAILLE TOUT À FAIT DANS CET ESPRIT. JE PRÉCISERAIS EN REVENANT SUR LE TERME D’ENTROPIE QUE JE N’AI PAS CHOISI AU HASARD. J’AVAIS À L’ESPRIT CE QU’AVAIENT FAIT MICHEL LEIRIS ET GEORGES BATAILLE DANS LA REVUE DOCUMENTS : UNE ESPÈCE DE CÉLÉBRATION DE L’ENTROPIE À TRAVERS DES PHOTOS DE BANQUISE. PARTANT DE CE GRANDIOSE EXOTISME, J’AI RAMENÉ CETTE PENSÉE AU NIVEAU DU BANAL, C’EST À DIRE DES ÉPLUCHURES DE POMMES DE TERRE. ROBERT SMITHSON A ÉGALEMENT TRAITÉ DE L’ENTROPIE PAR SES ŒUVRES TRAVAILLANT LA DIALECTIQUE ENTRE LA NATURE ET LES TRACES DE L’ACTIVITÉ HUMAINE GÉNÉRANT DES PAYSAGES INDUSTRIELS. ET APRÈS TOUT, C’ÉTAIT DÉJÀ CONJUGUER ENTROPIE ET BANALITÉ PUISQUE POUR QUE CETTE BOUTEILLE DE COCA-COLA ARRIVE DANS MA POUBELLE, IL A BIEN FALLU DES USINES POUR L’ÉLABORER. MOI, JE TRAVAIL À MON NIVEAU PLUS DOMESTIQUE D’HOMME MOYEN !

AB - DONC MÊME DANS CES SÉRIES ENTROPIE QUOTIDIENNE OU SCULPTURES, IL Y A UNE PART IMPORTANTE D’AUTOPORTRAIT OU D’AUTOBIOGRAPHIE. ET LES VISITEURS DE TES EXPOSITIONS AU DEUX PIÈCES-CUISINE DÉCOUVRAIENT AUSSI TON CADRE DE VIE QUE TU MONTRAIS SANS FARD, SEMBLANT ASSUMER SA DÉGRADATION. LE CHAOS, LES DÉSORDRES, L’ENTROPIE, SONT DES ASPECTS DU MONDE QUI TE CONCERNENT INTIMEMENT ET AUSSI T’INTÉRESSENT THÉORIQUEMENT.
JR - OUI.

AB - NE COMPRENDS–TU PAS CES SYMPTÔMES COMME DES VANITÉS ?
JR - SI, SI. D’AILLEURS UNE DE MES SÉRIES S’INTITULE VANITÉS. IL S’AGIT DE PHOTOGRAPHIES QUE J’AI PRISES PENDANT MON ADOLESCENCE ET QUE J’AI RÉCEMMENT RÉACTIVÉES. ELLES REPRÉSENTENT DES GENS QUE J’AI PERDUS DE VUE ET JE LES AI SURPEINTES COMME SI L’IMAGE ALLAIT DISPARAÎTRE SOUS LA PEINTURE.

AB - DES PETITES AMIES DE L’ÉPOQUE… ET UNE IMAGE-SOURCE, AUSSI : UN AUTOPORTRAIT EN TÊTE-À-TÊTE COMPLICE AVEC UN CRÂNE HUMAIN. CE JÉRÔME RAPPANELLO-LÀ, TU L’AS AUSSI PERDU DE VUE… COMMENT VOUDRAIS-TU AUJOURD’HUI QUE LES SPECTATEURS APPRÉHENDENT TON ŒUVRE ?
JR - EXACTEMENT COMME ILS LE PEUVENT OU LE VEULENT. MES PHOTOS SONT UNE PREMIÈRE TRADUCTION, EN IMAGES, DE MA PENSÉE ET LES SPECTATEURS OPÈRENT ENSUITE LEUR PROPRE TRADUCTION EN PENSÉE DE MES IMAGES. UNE ŒUVRE C’EST PRÉCISÉMENT UNE PENSÉE DONT L’EXPRESSION N’EST PAS UNIVOQUE.

AB - AUTOPORTRAITS, ENTROPIE, RETRAIT ET DÉLÉGATION, DÉMARCHE IMPLICANTE : EN QUOI DIRAIS-TU QUE TU ES UN ARTISTE CONTEMPORAIN ET QUE DIS-TU DE TON ÉPOQUE ?
JR - JE PEUX RÉPONDRE PARTIELLEMENT EN PRENANT POUR EXEMPLE MA SÉRIE EXTÉRIEURS QUE NOUS N’AVONS PAS ENCORE ÉVOQUÉE : IL S’AGIT DE PHOTOS PRISES DE L’EXTÉRIEUR DES REFLETS DANS LES VITRINES DES MAGASINS OU DANS DES FENÊTRES. CELA PARLE DE NOTRE RAPPORT MÉDIATISÉ AU MONDE. JE NE PHOTOGRAPHIE PAS LES CHOSES, PAS LA VILLE, MAIS LE REFLET DE LA VILLE.

AB - IL S’AGIT EN FAIT SOUVENT DE VITRINES DE MAGASINS DONT TU JOUE DES TRANSPARENCES ET DES MIROITEMENTS. STIGMATISES-TU AINSI UNE SOCIÉTÉ DONT LES RELATIONS INTERHUMAINES DIRECTES SONT DIFFICILES ? UNE SOCIÉTÉ ORGANISÉE POUR FAVORISER, EN REVANCHE LA CONSOMMATION DE BIENS ET SERVICES ?
JR - OUI, IL Y A DE CELA, CERTAINEMENT. MAIS ON EN REVIENT À LA QUESTION DE L’INTERPRÉTATION DE L’ŒUVRE. JE PENSAIS PERSONNELLEMENT, PLUS GÉNÉRALEMENT, À LA RELATION MÉDIATISÉ À LA VILLE. IL UTILISAIT LE MOT « ART » ET MOI JE DIRAIS MAINTENANT PLUTÔT « MÉDIA » : OSCAR WILD A ÉCRIT « CE N’EST PAS L’ART QUI IMITE LA VIE, C’EST LA VIE QUI IMITE L’ART ».

AB - ET MARSHALL MCLUHAN DISAIT : « THE MEDIUM IS THE MESSAGE ».
JR - ET ON PEUT COMPRENDRE LA SOCIÉTÉ DU SPECTACLE DE GUY DEBORD COMME LE CONSTAT DE LA DISPARITION DE L’EXPÉRIENCE RÉELLE. ET, AU TITRE DES EFFETS DE L’ART SUR LE RÉEL, CONSIDÉRONS QUE LES GENS, APRÈS PAUL CÉZANNE, NE VOIENT PLUS LA MONTAGNE SAINTE VICTOIRE COMME AVANT. PRÉCÉDEMMENT ANODINE, ELLE EST VUE, DEPUIS, COMME QUELQUE CHOSE D’EXTRAORDINAIRE. ELLE EST DEVENU UN MONUMENT PAR LE TRUCHEMENT DE L’ŒUVRE DU PEINTRE. ET JE PENSE QUE, NOTAMMENT DU FAIT DE LA PRÉGNANCE DE LA TÉLÉVISION, TOUTES NOS STRUCTURES DE PENSÉE SONT MÉDIATISÉES.

AB - SI TU PENSES ÇA, ALORS LA VIDÉO NE SERAIT-ELLE PAS LE MEDIUM LE PLUS APPROPRIÉ À TON PROPOS ? LES PHOTOGRAPHIES DE LA SÉRIE INTÉRIEUR-EXTÉRIEUR POURRAIENT D’AILLEURS AVOIR LEUR ÉQUIVALENT VIDÉO : UN PLAN FIXE RÉVÉLANT LE CADRE DE LA FENÊTRE ET LA CAMÉRA QUI TOURNE ET ENREGISTRE CE QUI SE PASSE À L’EXTÉRIEUR…
JR - OUI MAIS J’AIME TROP LA PHOTOGRAPHIE. LA PREUVE : MES QUELQUES VIDÉOS, COMME FUMETTE OU CUISINE D’ATELIER SONT DES VIDÉOS DE PHOTOGRAPHE : EFFECTIVEMENT DES PLANS-SÉQUENCES EN PLANS FIXES.

ENTRETIEN RÉALISÉ AU DOMICILE DE JÉRÔME RAPPANELLO, À PARIS, LE 31 OCTOBRE 2011.


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Jérôme Rappanello
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